Eliane Assassi, André Chassaigne "L’irruption citoyenne est décisive pour changer"
29/09/2013
À l’occasion des journées des parlementaires communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche, qui se sont déroulées à Auray (Morbihan), les présidents de leurs groupes à l’Assemblée nationale, André Chassaigne et au Sénat, Éliane Assassi s’expliquent sur les sujets de la rentrée.
Les journées des parlementaires du Front de gauche s’ouvrent ce jeudi, quel est votre état d’esprit, seize mois après l’arrivée de la gauche au pouvoir ?
Éliane Assassi. Nous sommes dans un état d’esprit très offensif. Nous avons des ambitions pour notre pays. La crise qui touche le quotidien des populations donne matière à porter des propositions alternatives à la politique que met en œuvre aujourd’hui le gouvernement. Nos journées seront l’occasion, sur nombre de questions qui vont venir en discussion au Parlement dans la prochaine période, d’affirmer ces propositions.
André Chassaigne. Ce qui est important pour nous, c’est de faire le lien entre les décisions politiques du gouvernement Ayrault et leurs conséquences désastreuses sur la vie de tous les jours des familles, des salariés, des jeunes, mais aussi sur l’avenir de notre pays. D’autant que cette politique entraîne, chez celles et ceux qui en sont victimes et qui, pour beaucoup, avaient placé tant d’espoir en 2012 dans l’arrivée de la gauche au pouvoir, des comportements faits de découragement, de méfiance vis-à-vis de la politique et parfois même de recours à des solutions extrémistes. C’est très préoccupant.
Depuis un an, vous êtes, sur de nombreux sujets (traité européen Sarkozy-Merkel en novembre 2012, sécurisation de l’emploi dite ANI au printemps 2013…), opposés à la politique du gouvernement. Quel jugement portez-vous sur celle-ci et, sur le fond, êtes-vous dans l’opposition ?
André Chassaigne. Le gouvernement a fait un choix, celui de se plier aux exigences de la finance, contrairement au discours et à l’engagement de François Hollande dans sa campagne électorale. À partir de ce choix, tous les projets de loi du gouvernement qui arrivent en discussion au Parlement sont marqués de l’empreinte de ce parti pris de l’austérité, dont la conséquence est de ne pas faire payer ceux qui tirent les avantages de ces orientations politiques. C’est le peuple qui en est victime. Il ne s’agit donc pas pour nous d’être dans une opposition sclérosante ou dans je ne sais quelle chronique d’un échec annoncé. Non, au contraire, nous faisons tout pour montrer à quel point ce gouvernement fait fausse route, combien cette politique est contraire au changement voulu par les Français. Nous formulons des propositions alternatives de gauche qui répondent aux besoins populaires en remettant en cause la domination de l’argent.
D’aucuns vous accusent de mettre un signe d’égalité entre Sarkozy, hier, et Hollande, aujourd’hui…
Éliane Assassi. Absolument pas. Ce n’est pas notre cas. Nous ne mettons pas sur le même plan les choix faits sous Sarkozy et ceux du gouvernement Ayrault. Seulement, l’adoption par le Parlement français du traité Sarkozy-Merkel a été un revirement complet, alors que François Hollande avait promis de le renégocier. C’est devenu un marqueur de sa politique. C’est un fait. Nous ne sommes pas enfermés dans des postures. Nous ne sommes pas dans l’opposition, mais nous pensons qu’il est possible de mettre en œuvre dans notre pays une réelle politique de gauche. Tout notre engagement de parlementaires vise à faire vivre cette alternative, cette ambition. Ainsi, au Sénat, sur plusieurs grands sujets, nous avons proposé de nouveau les amendements ou les textes adoptés par la nouvelle majorité de gauche fin 2011-début 2012 (notamment concernant le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales et l’amnistie sociale pour les actions commises à l’occasion de conflits sociaux – NDLR). Mais force est de constater qu’après l’adoption du traité austéritaire européen, en octobre 2012, nos collègues socialistes, tournant le dos au changement, n’ont pas renouvelé leur vote positif. Notre responsabilité n’est pas de passer notre temps à dire que ce que fait le gouvernement socialiste n’est pas bien, mais de faire la démonstration que d’autres choix à gauche sont possibles. Et c’est ce que nous faisons.
André Chassaigne. C’est vrai, sur un certain nombre de projets de loi comme ceux sur l’école ou le logement, la politique menée n’a rien à voir avec celle de Sarkozy. Mais, même sur ces questions, la bonne volonté du gouvernement se heurte à une limite, celle des moyens. Sa volonté de baisser coûte que coûte la dépense publique bride les ambitions affichées.
Vous êtes parfois amenés à voter contre des projets, comme le fait, de son côté, la droite. N’est-ce pas un problème ?
André Chassaigne. Si nous émettons le même vote, c’est pour des raisons totalement opposées. Quand la droite vote contre un texte, c’est parce qu’elle considère que cela ne va pas assez loin dans la casse du service public, pas assez loin dans la rigueur budgétaire, pas assez loin dans le soutien à la compétitivité des entreprises. Quand nous ne votons pas un texte de loi, c’est parce qu’il s’inscrit dans une politique d’austérité qui ne permettra pas de sortir de la crise et ne répondra pas aux besoins des populations.
Dans les semaines qui viennent, d’importants projets de loi seront débattus au Parlement. En premier lieu, la réforme des retraites. Pensez-vous que tout est à jeter dans le texte du gouvernement ?
Éliane Assassi. Non, tout n’est pas à jeter. Sur un certain nombre d’aspects, il est possible d’aller plus loin que ne le propose le projet de loi, et nous ferons des amendements en ce sens. C’est le cas de la pénibilité, des droits des femmes, des jeunes et de la prise en compte de leurs années d’études. Sur ces sujets, nous pouvons gagner des avancées. Mais si le projet de loi reste en l’état avec un allongement de la durée de cotisation que nous réprouvons et un non-dit sur les financements, il ne pourra pas être un bon texte sur les retraites. Nous mettrons tout en œuvre pour obtenir tout ce qui peut l’être. Je crains qu’il n’y ait pas d’avancées sur cette question qui nécessite de s’attaquer au noyau dur, au capital. Dans ce cas, nous rejetterions ce texte. Nous n’en sommes pas là, nous ferons, y compris sur le financement, des propositions.
Justement, quelles pourraient être ces alternatives concernant le financement ?
André Chassaigne. Nous avons une proposition de loi sur les retraites que nous déclinerons par amendements pour changer tout ce qui peut l’être dans le texte du gouvernement. Nous proposons de taxer les produits financiers au même niveau que les salaires. De même, nous proposons une modulation des cotisations patronales en fonction du niveau des investissements de l’entreprise, du niveau de l’emploi, de son action pour faire reculer la précarité et développer la formation professionnelle. Non seulement cela améliorerait le financement des retraites, mais cela participerait à la relance de l’économie, à la sortie de la crise.
Autre réforme, celles des collectivités territoriales avec la création des métropoles. Le Sénat va l’aborder en deuxième lecture, après l’avoir profondément modifiée lors de son premier examen, rendant même une page blanche sur le Grand Paris. Pour commencer par ce dernier aspect, n’était-ce pas une erreur ?
Éliane Assassi. Non. J’en veux pour preuve que cela a permis la poursuite du débat à l’Assemblée nationale, mais aussi au sein de Paris métropole (syndicat mixte réunissant des élus des communes, des communautés d’agglomération, des départements et de la région – NDLR). Je me réjouis que son assemblée ait adopté un texte alternatif demandant au gouvernement de réécrire son projet. On ne peut pas nier le fait métropolitain et nous ne le faisons pas. Reste à savoir si on veut ajouter une strate au millefeuille, ou des structures avec des compétences pleines et entières mais où la parole des citoyens et de leurs élus est respectée. Ce n’est pas ce qui figure dans le texte du gouvernement. C’est un jeu de dupes. On veut créer des métropoles en 2017, alors que, l’année prochaine, ont lieu des municipales avec un système de fléchage pour élire les conseillers communautaires parmi la liste des candidats. Mais ils ne seront élus que pour deux ans, puisque le projet prévoit de supprimer les agglomérations et de transférer leurs compétences et leurs moyens à la métropole. La logique de ce texte est de tuer les communes. On ne peut pas l’accepter, pas simplement au nom de la proximité, mais de la démocratie. Les communes existent depuis la Révolution. Elles ont montré leur capacité à être des lieux d’expression populaire, il faut que notre pays les conserve.
André Chassaigne. Le débat nous a permis de prendre conscience que la constitution de ces métropoles a des conséquences sur l’ensemble du territoire français. C’est un chamboulement complet de notre organisation territoriale qui va conduire à la désertification accélérée du monde rural. C’est très complémentaire du redécoupage des cantons où les ruraux ne compteront plus en termes de décisions politiques. Tout cela se fait dans l’ignorance des citoyens et même des élus. Ils ont été consultés l’an dernier par le Sénat, mais leurs préoccupations ne sont pas prises en compte aujourd’hui.
Éliane Assassi. Je rappelle que cela s’inscrit dans les directives du commissaire européen José Manuel Barroso appelant à tout mettre en œuvre pour réduire la dépense publique visant à favoriser la compétitivité et à faire les réformes structurelles et institutionnelles pour y parvenir.
André Chassaigne. Auparavant, nous avions une politique d’aménagement qui visait à irriguer les territoires. Aujourd’hui, il s’agit de drainer les ressources des territoires vers des centres urbains au nom de la compétitivité.
Éliane Assassi. Toutes ces questions montrent aussi l’urgence de mettre en débat et en perspective l’avènement de la VIe République…
Autre question et non des moindres, le projet de budget 2014, dans lequel le gouvernement fixe l’objectif de réduire de 15 milliards d’euros la dépense publique, une première dans notre histoire. Quelle sera votre attitude ?
André Chassaigne. Naturellement, en l’état, le budget est inacceptable. L’objectif de baisser la dépense publique de 15 milliards d’euros s’inscrit dans la poursuite et l’amplification des politiques d’austérité. Nous entendons être très critiques et constructifs. C’est pourquoi, dans la continuité de ce que nous mettons en œuvre dans nos deux Assemblées, nous allons travailler pied à pied, décortiquer chacun des budgets, ministère par ministère, pour montrer les insuffisances et faire des propositions.
Éliane Assassi. Nous ne sommes pas dans une posture politicienne. Nous entendons nourrir nos réflexions, nos choix et nos propositions du débat avec les élus sur le terrain, avec les citoyens et le mouvement social et syndical. Avec un objectif : gagner des avancées.
André Chassaigne. C’est en bas que, pour une part essentielle, tout se joue. Nous ne nous enfermons pas dans la citadelle parlementaire. L’irruption des citoyens est décisive pour changer la donne.
C’est la condition pour changer de cap, comme vous le souhaitez ?
André Chassaigne. Mener le débat public sur les choix du gouvernement et leurs impasses, redonner de l’espoir en montrant que d’autres voies peuvent être ouvertes à gauche constituent notre ligne de conduite pour faire bouger les choses dans notre pays. Sans oublier, dans la perspective des futures élections européennes de mai 2014, que les solutions ne sont pas uniquement françaises mais européennes. Dans cette perspective, nous voulons prendre appui sur toutes les forces de résistance et de lutte politique, sociale, syndicale, qui existent en Europe.
Éliane Assassi. Il ne faut pas perdre notre boussole. Nous ne voulons pas du retour de la droite et nous ne voulons pas que l’extrême droite s’installe en force dans notre pays. C’est pourquoi nous faisons attention à ne pas nous situer dans l’opposition, mais à être la force qui porte l’idée qu’une autre politique de gauche est possible.
André Chassaigne. Il y a une grande colère. À un niveau rarement atteint. Nous ne sommes pas de ceux qui entendent mettre un couvercle sur cette colère. Celle-ci a besoin de s’exprimer. Il faut essayer de lui donner une direction en lui ouvrant le chemin de l’exigence d’une autre politique. La colère populaire doit être une colère constructive. C’est la force des communistes de travailler à cela, de voir la situation dans son mouvement avec toutes ses contradictions et ses possibilités. C’est difficile, mais il n’y a pas d’autre choix.
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